Murat est la ville natale de mon grand-père maternel, celle où son père Célestin était marchand de fromage. Il y a vécu toute son enfance puis en est parti pour aller faire ses études de médecine à Toulouse. Une fois diplômé, il n’est pas revenu s’y installer, il a préféré Aurillac.
Il était cependant très attaché à deux souvenirs de son enfance.
L’un tient à une fête religieuse. La ville abrite une des plus belles Vierges noires d’Auvergne, Notre-Dame des Oliviers, qui aurait été rapportée de Terre Sainte par Saint-Louis lui-même (la datation de la statue remet en cause cette légende ; peu importe) et dont on peut aujourd’hui voir une réplique. On la célèbre tous les ans, le dimanche qui suit le 15 août. La veille au soir est organisée une procession aux flambeaux : la statue est portée par les hommes et jeunes gens de l’église aux pieds de Notre-Dame de la Haute-Auvergne, édifiée sur le rocher de Bonnevie, à la lueur des cierges et au son du Stabat Mater.
Ces processions, auxquelles mon grand-père a peut-être participé dans sa jeunesse, l’ont durablement marqué : il aimait, à Rocamadour, aller prier la Vierge noire, il demandait que soit dite une messe pour la famille. Et il avait réclamé, pour son enterrement, un Stabat Mater. On se souvient de ce moment où, dans l’église Notre-Dame des Neiges, tout Aurillac avait défilé devant le cercueil pour un dernier geste d’adieu, ça n’en finissait pas tellement il y avait de monde.
L’autre est plus bassement matériel, mais non moins respectable : ce sont les cornets de Murat, spécialité pâtissière de la ville.
C’est une sorte de tuile que l’on recourbe sur elle-même de façon à former un cornet. Il est censé rappeler les trompes rustiques que les pâtres du Cantal portaient à la ceinture et dont ils se servaient pour s’appeler à travers la montagne.
Ce cornet est appelé à être rempli, bien sûr : on peut y mettre un fond de confiture de châtaigne, pourquoi pas, mais les puristes se contenteront de le remplir de crème Au cœur du Pays-Vert, fouettée avec un peu de sucre. Mamie, souvent, les servait avec des fraises, Papy adorait ça.
On en trouve partout à Aurillac ; mon oncle en amène souvent aux réunions de famille. On croit ne plus avoir d’appétit pour un dessert, mais quand même, un petit cornet… avec un peu de crème… et un deuxième, tant pis, juste par gourmandise… Un troisième, est-ce bien raisonnable ?
Pour ceux qui sont trop loin d’Aurillac, il est possible de faire soi-même les cornets. Voici la recette de Margaridou[1] :
6 beaux œufs, leur poids de sucre, leur poids de farine, un verre à liqueur de rhum (facultatif)
Battez bien la pâte ; lorsqu’elle se prend à respirer, c’est-à-dire quand des bulles d’air remontent à la surface, arrêtez-vous, préparez une tôle huilée (une feuille de silicone sera plus pratique !) sur laquelle vous versez la pâte en petits tas espacés les uns des autres.
Mettez à four chaud et laissez cuire quelques minutes jusqu’à couleur dorée, en cercle autour de la pâte.
Pour former les cornets, vous roulez la pâte encore chaude sur elle-même, comme pour faire un cornet de papier, et, pour qu’elle ne se déforme pas, vous plantez chaque gâteau dans une planche trouée et l’y enfonçant par la pointe, ou dans un goulot de bouteille (ou un verre fin, une tasse, etc.)
Ce n’est pas très facile à faire et on se brûle souvent les doigts en formant les cornets, mais ça en vaut la peine : ce sont nos madeleines…
[1] Suzanne ROBAGLIA, Margaridou, Journal et recettes d’une cuisinière en pays d’Auvergne, CREER, Nonette 1977.