Tous les chemins mènent à Rome

Il y a quelques jours est paru mon Guide de latin à l’usage des généalogistes, chez Archives et Culture.

C’est le résultat d’un beau travail mené avec Marie-Odile Mergnac et Cécile Renaudin, que je remercie d’avoir supporté patiemment mes revirements, mes corrections et mes rajouts ultimes.

Quoique la plupart des actes auxquels nous avons affaire soient en français, nous sommes souvent confrontés au latin : dans certaines régions, à certaines époques, il n’est pas rare de trouver des registres paroissiaux dans cette langue familière aux prêtres.

AD84, BMS Châteauneuf du Pape, 1732.

Or, il n’existait que peu de choses pour aborder les registres en latin.

Certes, on trouve sur des sites d’associations, des listes de vocabulaire et de prénoms, plus ou moins fiables sur le plan sémantique comme sur le plan grammatical. Non, « Capuccino » n’est sans doute pas la traduction latine du prénom Capucine… (vu pour de vrai !)

Certes, on peut faire appel à de fins latinistes, qui prodiguent volontiers leur aide sur Facebook ou Généanet, mais on ne peut pas les solliciter jour et nuit.

Certes, on peut commencer ou reprendre l’apprentissage du latin en consultant les grammaires et les manuels : ils sont riches de nombreux détails de civilisation, d’histoire romaine tout à fait passionnants, mais ne sont guère adaptés au vocabulaire chrétien en usage sous l’Ancien Régime dans les registres paroissiaux. C’est faisable, mais un peu décourageant si on n’a pas fait de latin au lycée !

Il existe bien quelques brochures qui récapitulent les formules les plus courantes et en offrent des traductions : on ne peut souvent les consulter qu’en bibliothèque ou en salle de lecture, leur diffusion est restée confidentielle. De même, quelques AD et associations offrent des cours : j’ai entendu dire que l’Aprogemere avait des membres passionnés, érudits, qui replongent avec beaucoup de plaisir dans leurs souvenirs des langues anciennes. Mais ça fait loin, l’Auvergne, parfois, pour un cours hebdomadaire…

Ce guide vient donc combler un manque et apporter une petite aide à tous ceux qui voudraient essayer de se repérer dans les actes en latin. Je me suis donné comme objectif d’être claire et efficace, de limiter mon propos à ce qui concerne la généalogie, de m’appuyer sur des exemples représentatifs. Je ne sais pas si j’y suis parvenue : vous me direz.

E. A. G ? En attendant Godot ?

E. A. G, c’est habituellement l’abréviation utilisée, dans mes notes de cours, pour En attendant Godot, la pièce de Beckett qui met en scène ces clochards magnifiques, attendant sur le bord d’une route de campagne l’arrivée hypothétique d’un sauveur à barbe blanche.

Ces derniers mois, cependant, le sigle E.A.G., pour moi, c’est l’Ecole européenne de Généalogie, ou European Academy of Genealogy en anglais.

Un projet complètement dingue, élaboré avec des confrères et amis : créer la formation de généalogie dont nous aurions rêvé, complète, pratique, au plus près des archives, avec des généalogistes professionnels compétents et disponibles pour guider leurs élèves.

Un travail de forçat, pour construire les cours, les cas pratiques, les exercices d’évaluations, les sujets d’examens et de mémoire, etc.

De grands moments de tension, de fatigue, d’inquiétudes, mais aussi de travail d’équipe constructif, d’échanges fructueux et de fous rires.

Un vrai bonheur, pour ma part, à partager mes connaissances en latin et en anthroponymie, à plonger dans les archives concernant la noblesse, à blasonner, à retrouver les archives de la période révolutionnaire, à travailler la mise en forme des recherches et l’écriture de l’histoire familiale.

Des réelles satisfactions, aussi, quand on voit le beau travail des premiers élèves qui nous ont fait confiance et se sont engagés dans cette formation avec beaucoup de détermination.

Des projets et de belles espérances, en outre, pour consolider ce qui a été fait et élargir notre offre.

Le blog en a souffert : je n’ai pas eu beaucoup de temps à lui consacrer.

Mais ce n’était pas du temps perdu à attendre vainement l’arrivée de Godot !

https://www.eagenealogy.com/

De Saint-Affrique à Notre-Dame de Lorette.

 

Il a toujours été de tradition, dans ma famille paternelle, de faire ce qu’on appelait « la tournée des cimetières », à la Toussaint. Nous n’habitons plus dans l’Aveyron depuis trois générations, mais mes arrière-grands-parents y ont vécu, y sont morts et y sont enterrés. Il convenait, donc, de prendre une journée pour aller fleurir les tombes, de ne pas abandonner cette part de notre histoire familiale.

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Pour être honnête, c’était l’occasion aussi de faire le marché de Saint-Affrique, si sympathique avec ses artisans-charcutiers locaux, ses soixante-huitards écolos reconvertis qui aiment le partage et le commerce alternatif, ses paysans qui apportent leurs produits pas très présentables mais succulents. Attention, 1, 2, 3, partez, on achète de la fouace, des melsats, des gâtisses, un serpent à la saucisse, de la recuite pour faire la flône, des cèpes s’il y en a, et puis du miel, des châtaignes, un lapin, des œufs, … Oui, la mémoire familiale passe aussi (d’abord ?) par la bouche : les Aveyronnais sauront de quoi je parle.

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Pour avoir la place de charger tout ça dans la voiture, nous commencions par déposer nos chrysanthèmes au cimetière de Saint-Affrique, sur les hauteurs de la ville. Dans la première allée en bas se trouve le caveau familial, juste au-dessus de la route : il fallait le nettoyer, arracher les mauvaises herbes poussées pendant l’été, se recueillir quelques mIMG_9145inutes devant la plaque commémorative de mon arrière-grand-père, en se disant que la guerre avait été un carnage et qu’il était bien triste de mourir à 35 ans, comme tous ces gens dont le nom est gravé sur le Monument aux Morts, en bas, près de la Sorgues.

Un peu abstrait, un peu conventionnel.

Je ne savais pas grand chose des générations que je n’avais pas connues directement.

 

Aujourd’hui, j’en sais davantage.

Mes recherches généalogiques m’ont permis de connaître mieux mes ancêtres, de savoir qui étaient ces gens aux noms gravés dans le marbre. J’ai questionné mon père et ma tante, j’ai fait ressortir les vieux portraits emballés dans le kraft auxquels nous n’avions pas touché depuis le dernier déménagement, j’ai fait ouvrir les albums photos et les boîtes à bijoux, je suis allée consulter les archives départementales. Et ce n’est plus pareil.

Je sais maintenant que mon arrière-grand-père, Pierre-Jean-Albert Bernat, est né en 1880 aux Costes-Gozon, d’une famille assez aisée. Son père, Pierre Joseph Amédée, est négociant, propriétaire aux Thomps, un hameau de la commune. Il a épousé en 1879 une fille naturelle, Lucie Marie. Albert est leur fils unique ; il est négociant lui aussi, il fait le commerce des agneaux à Saint-Affrique, mais sans doute d’autres produits aussi : du vin, des gants, etc. Sur sa fiche matricule[1], il est dit « comptable », il doit surtout s’occuper de gestion et tenir les comptes.

Il fait son service militaire de 1901 à 1904 au 158e régiment d’infanterie, y acquiert le titre de caporal. Une autre période d’exercices, en 1912, lui donnera le grade de sergent dans la réserve. Sitôt ses obligations accomplies et le certificat de bonne conduite obtenu, Albert revient à la vie civile et épouse, en 1905, une jeune fille de la ville, Julie-Marie Barascud, que l’on appelle Juliette[2]. Ses parents portent des prénoms extraordinaires : Théophile et Victoria-Paméla ; ils ont la réputation d’être des originaux, des personnalités très affirmées. Lui est gantier, originaire de Millau. Au moment du mariage de leur fille, ils sont en deuil : ils ont perdu, peu de temps avant, leur fils Emile, « le pauvre Emile », qui est mort de la tuberculose alors qu’il faisait son service militaire à Montpellier. Nous avons encore, dans le vieil album de photo de ma grand-mère, la lettre de la bonne sœur qui l’a assisté dans ces dernières semaines.

DSCF0002Albert et Juliette s’installent route de Vabres : la maison existe toujours, avec sa porte de bois aux initiales PB, pour Pierre Bernat. C’est là que naissent leurs deux enfants : Andrée, ma grand-mère, le 19 juin 1906, et très vite, son frère Roger, le 17 avril 1907[3].

Les photos de cette époque montrent des parents apparemment sereins, des enfants sans doute choyés qui prennent un air sage pour poser, dans leurs costumes marins ou leur tenue du dimanche.

 

 

Lorsque la guerre éclate, cela ne fait pas dix ans qu’ils sont mariés ; Andrée et Roger ont 8 et 7 ans. Albert est mobilisé, « rappelé à l’activité » le 2 août 1914, il rejoint son corps d’armée le 3 août.

IMG_3441On ne sait pas de quand date la dernière photo que nous avons de lui : a-t-elle été prise à Saint-Affrique ou à Montpellier juste avant son départ ? Il porte le pantalon garance très large, qui contraste avec une veste plus étriquée : ce n’est pas la capote du soldat, c’est une sorte de vareuse que l’on portait au cantonnement ou à la caserne, pas au combat. Le numéro de régiment brodé sur le col et sur le képi, 158e, est celui dans lequel il a accompli son service militaire ; les deux bandes sur ses manches correspondent à son grade de sergent, l’insigne brodé sur le bras gauche est la récompense d’un prix de tir. Est-ce que c’est une photo de sa dernière période d’exercice ? est-ce qu’il a ressorti son vieil uniforme à la mobilisation ?

Quoi qu’il en soit, il ne joue pas les soldats fanfarons. La posture n’est pas celle d’un matamore et il donne l’impression de vouloir être ailleurs, l’air morose malgré la moustache bravache.

Il est affecté au 281e régiment d’infanterie. C’est un régiment territorial : Albert a 34 ans, il fait partie de ceux qu’on appelait les « pépères », les hommes encore capables de manier les armes mais trop âgés pour être envoyés en première ligne. Leur rôle était de surveiller les lignes frontières, les places fortes, les ponts ; malheureusement, les lourdes pertes subies dès 1914 ont amené à engager les plus jeunes de ces régiments dans l’armée active. Ils ont pris part aux combats, ont aidé à creuser et consolider les tranchées, ravitaillé les premières lignes, procédé à l’ensevelissement des corps, ont construit et gardé des camps de prisonniers.

Le 281e régiment[4] a été constitué à Montpellier, sous les ordres du lieutenant-colonel Laignelot. Mi-août, il traverse la France, passe la frontière et s’installe en Alsace, où sont creusées les premières tranchées, autour de Balschwiller. Les soldats repoussent les Allemands, occupent Zillisheim, vont jusqu’à Illfurt, puis reçoivent un ordre de repli. Ils reviennent vers Montbéliard, Gérardmer, puis sont redéployés du côté de Lesseux, avec mission d’emporter la crête et le village. Ils sont cités à l’ordre du jour en octobre 1914 :

« Le Général commandant le Groupement des Vosges adresse ses félicitations à toutes les troupes qui, sous les ordres du colonel Gadel, ont contribué, du 21 au 25 septembre, à l’enlèvement des positions ennemies entre Lesseux et les bois du Mont et de Chena.

Il témoigne spécialement sa satisfaction aux détachements des 13e, 28e et 30e bataillons de chasseurs alpins et des 281e et 343e régiments d’infanterie qui ont rivalisé d’entrain dans l’attaque des retranchements ennemis. » [5]

Dans le mois qui suit, le régiment est transporté en automobile dans la région de Béthune, pour arrêter l’envahisseur et reprendre Vermelles. Les combats s’éternisent, les pertes sont lourdes, les nombreuses citations à l’ordre qui vantent les exploits des soldats et leur « entrain » ne dissimulent pas l’horreur des combats et des blessures, non plus que leur inutilité.

En décembre 1914, le 281e est relevé par le 296e et part vers Lens. Pendant cinq mois, il creuse et occupe des tranchées le long de la route entre Béthune et Lens. Les soldats éprouvent « de grosses difficultés à aller de l’avant », sous les tirs des mitrailleuses que seule la nuit arrête. Ils finissent par conquérir le secteur de Loos et y assurer leurs lignes. Quelques jours de détente sont concédés au 281e régiment. La suite mérite d’être citée in extenso :

« Mais les nécessités militaires ne permettent pas [de profiter d’un répit] et le 1er juin, au soir, le 281e quitte Beugin pour Hessin où il arrive le même soir.

Le 3 commence une des périodes les plus dures vécues par le régiment : celle qui s’étend du 3 au 25 juin. Encore tout meurtri des journées de mai, le régiment jeté dans une nouvelle fournaise va fournir un gros effort. De durs combats se livrent sur les pentes du plateau de Lorette, à Fond-de-Buval en particulier, l’acharnement des deux adversaires est poussé à l’extrême. Le régiment y trouva l’occasion de montrer une fois de plus sa bravoure et sa ténacité.

Et d’abord, quel était l’aspect de ce plateau. Véritable désert créé par les luttes gigantesques où quelques troncs déchiquetés attestent que cette région fut boisée. Les tranchées et boyaux n’existent plus ; la terre bouleversée glisse ; c’est à découvert qu’on arrive aux tranchées de première ligne. Là le spectacle est terrifiant. Les obus de gros calibre tombent de toutes parts et sans interruption sur nos lignes et ensevelissent des postes entiers dans cette terre mouvante. A tout instant les obus vont sortir du sol où ils sont peu profondément enterrés, des cadavres boches qui, déchiquetés par les éclats, pourrissent à l’air libre. C’est macabre ; il s’en dégage des odeurs insupportables auxquelles il faut cependant se résigner.

Pas de repos ni de jour ni de nuit, car les quelques abris ennemis tombés entre nos mains sont crevés et inhabitables.

Eh bien ! c’est sans une défaillance que ces hommes admirables font là, bravement et simplement, leur devoir. » [6]

L’éloge du patriotisme des soldats paraît bien ampoulé et mensonger. En lisant cela un siècle plus tard, on n’a guère envie de glorifier les actes héroïques des pourfendeurs de Boches, on est plutôt pris de compassion pour ces hommes qui ont eu à endurer d’aussi effroyables batailles, pour un gain stratégique tout relatif. Les historiens d’aujourd’hui, lorsqu’ils évoquent cette « seconde bataille de l’Artois », affirment qu’elle est une des pires, une des plus meurtrières : au premier semestre 1915, 102 000 hommes y sont morts.

Albert Bernat est de ceux-là : il est « tué à l’ennemi » le 12 juin 1915, à Aix-Noulette[7], probablement une balle allemande, à moins qu’il n’ait été la cible d’un obus. Il avait alors 35 ans.

Il a été enterré sur le plateau de Notre-Dame de Lorette, dans une tombe de terre surmontée d’une croix en bois.

Tombe Pierre Bernat redim

 

Il y a une anecdote familiale terrible : la mère d’Albert, Lucie Marie, avait appris la nouvelle un soir, en croisant une de ses connaissances sur le pont de Saint-Affrique. Jusqu’au lendemain, elle a eu la force de cacher la mort de son fils à sa belle-fille et à ses petits-enfants, pour qu’ils profitent d’une dernière soirée paisible.

BERNAT Andrée naissance St Aff 1906 détail 2De fait, Juliette, sa femme, s’est trouvée veuve à 32 ans, ses enfants orphelins à 9 et 7 ans. Ils ont grandi sans leur père, avec le statut de pupille de la Nation, comme en témoigne la mention marginale sur l’acte de naissance de ma grand-mère.

Albert Bernat a été ramené à Saint-Affrique : c’est Juliette qui a fait le voyage, après la guerre, pour aller récupérer le corps de son mari. Il est inhumé dans le caveau familial, auprès de son père, mort en 1908, de sa mère, morte en 1919, et de sa femme, qui ne s’est jamais remariée et qui l’y a rejoint en 1967, un demi-siècle plus tard.

Saint-Affrique monument aux morts

Son nom figure sur le Monument aux Morts de Saint-Affrique, près de la Sorgues, tout au début de cette route de Vabres où il habitait.

***

Nous irons, bientôt, poser notre traditionnel chrysanthème à Saint-Affrique, avant d’aller faire  le marché. Mais j’aurai en tête le visage d’Albert Bernat, le récit de ses mois de guerre, et je serai émue de lire son nom sur le Monument aux Morts.

J’espère que mes filles le seront aussi.

 

 

 


[1] Fiche matricule de Pierre Jean Albert Bernat, classe 1900, bureau de recrutement de Montpellier – Saint-Affrique, AD 34, 1 R 1136, fiche 62.

[2] Acte de mariage de Bernat et Barascud, Saint-Affrique, 1905, AD12, 4 E 216-46.

[3] Actes de naissance de Bernat Andrée et de Bernat Roger, AD12, 4 E 216 -45.

[4] Historique du 281e régiment d’infanterie en campagne, éd. Montpellier 1920, disponible sur Gallica. De courts ouvrages furent consacrés, après-guerre, à chacun des régiments : il s’agissait de saluer le courage des combattants, sans jamais remettre en question la victoire des Français ou les stratégies des officiers.

[5] Ibid, p. 5

[6] Ibid, p. 15 et 16.

[7] Site Mémoire des Hommes, Morts pour la France de la Première Guerre Mondiale.

Un curieux cas de contamination

C’est la faute de Sandrine.

C’est par elle qu’est venu le mal.

Cet été, elle et mon mari ont parlé d’Alsace, où elle habite, et la conversation est venue sur cette lointaine ancêtre alsacienne, du côté de sa mère à lui, dont on raconte qu’elle avait traversé la France pour s’établir en Bretagne.

Sandrine a commencé à chercher, a retrouvé quelques noms sur Filae. Une Schenmezler à Ploemeur, ça ne se rate pas !

Puis, pas plus. Il était occupé, travaux dans la maison, terrassement, plomberie et carrelage.

L’autre jour, il me demande, l’air innocent : « Tu n’as jamais cherché, de mon côté ? »

Non, je ne l’ai pas fait : parce que je n’en ai pas eu le temps et ne veux pas m’éparpiller dans toutes les branches, je n’ai pas exploré encore toutes les miennes, mais surtout parce que je suis persuadée que c’est un domaine qui pourra l’intéresser et qu’il y consacrera son temps libre avec plaisir d’ici quelques années.

Il a regardé sur Filae, a réussi à retrouver quelques traces de ses grands-parents. C’était lacunaire :  pas de documents récents, des actes isolés les uns des autres qui ne permettent pas d’embrasser d’un regard la vie des individus,  de nombreux homonymes…

Puis il m’a demandé si je n’aurais pas un logiciel, un système qui permettrait de classer les premières données. Je lui ai montré Heredis, il l’a installé sur son ordi. Il voulait juste voir se dessiner l’arborescence, comprendre qui était qui et situer les générations.

Un après-midi, je le vois sortir de son bureau, où il était censé faire la sieste, hirsute, l’œil rouge, le sourire niais du Ravi de la Crèche : « Tu sais quoi ? J’en ai trouvé plein ! Des ancêtres, j’en ai trouvé plein, viens voir ! ».

Deux jours après, il me dit : « Tu ne voudrais pas m’expliquer un peu, là, rapidement, les méthodes de bases de la recherche ? Par où il faut commencer pour compléter ce que je n’ai pas dans Filae ? et Herédis, y a moyen de rentrer toutes les infos et les photos des actes ? »

Hier soir, je le trouve devant ses deux écrans d’ordi : Heredis sur celui de droite, avec un arbre qui a pris une belle ampleur ; la visionneuse de l’état civil sur celui de gauche, et dans un coin un tableau Excel récapitulatif de tout ce qui a été trouvé par individu et de tout ce qui reste à chercher. Sur le bureau, le petit cahier avec la méthode, des actes de naissance et de mariage familiaux, de vieilles photos.

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Il est tout fier d’être remonté au-delà de la Révolution, ravi d’avoir retrouvé des charpentiers de marine parmi ses ancêtres bretons, désolé de ces listes de nouveaux-nés que l’on trouve dans les Tables décennales à la page des naissances et tout de suite après à la page des décès, tout ému de tomber sur les signatures de ses aïeux…

Je crois qu’il est atteint, très gravement atteint.

Généalogite fulgurante.

C’est grave, docteur ?

Un dimanche en Lozère

salon-de-la-genealogie-en-lozere-2018_pageLe salon de généalogie de Mende, ce dimanche 5 août, n’a pas été aussi agréable que nous pouvions le souhaiter : une chaleur à fondre sur place, peu de monde, trop d’interventions bruyantes et brutales de la part de l’organisateur dont la grossièreté a suscité des réactions unanimes, des moments de crispations et d’improbables recherches d’un lieu agréable pour déjeuner… Je pourrais raconter les échanges de regards médusés de gens courtois qui se demandaient où ils étaient tombés, la fureur grandissante de mon amie Sandrine , l’air offusqué de Jérôme à deux doigts de perdre son inaltérable calme, les commentaires excédés de moins en moins discrets, ça pourrait être très drôle mais ça n’apporterait rien de plus, généalogiquement parlant.

Ce salon, donc, ne restera pas inoubliable.

Ce n’est pas grave, l’enjeu n’était pas décisif et il y a eu malgré tout de très bons moments quand même :

le plaisir de retrouver d’anciens étudiants du D.U. qu’il est toujours agréable de revoir, la joie d’en rencontrer d’autres et de pouvoir évoquer ces mois de formation, toujours très riches, promo après promo ;

les discussions avec les quelques membres des associations du Cantal, du Gard, de l’Aveyron, que je commence à connaître pour les avoir vus dans différents salons ;

la gentillesse des professionnels qui écoutent les questions, ouvrent leurs bases de recherche et donnent des pistes pertinentes ou de très bons conseils (merci  Généalanille !) ;

et surtout, la conférence de Fabien Larue, sur la guerre de 14-18.

Je ne connaissais pas Fabien autrement que par Facebook, où il joue l’homme-orchestre multi-tâches d’un nombre infini de groupes, le Sherlock Holmes dont l’œil démesurément grossi vous scrute par-delà l’écran, le gars qui dégaine le Like plus vite que son ombre…

J’ai découvert le conférencier calme, posé, dont les explications claires montrent une solide maîtrise du sujet. Il a abordé les différentes sources qui permettent de retracer le parcours des soldats de la Première Guerre Mondiale.

J’avais consulté le site Mémoire des hommes, les fiches des soldats morts au front, les journaux des marches et opérations ; j’avais cherché déjà les fiches matricules des hommes de ma famille, lu les ouvrages des historiens sur les grandes batailles de la guerre, Verdun, le Chemin des Dames, le Vieil Armand, … J’ai appris qu’il était aussi possible de trouver des renseignements sur les prisonniers par les archives de la Croix-Rouge, de demander la communication des dossiers individuels conservés par les hôpitaux militaires, d’avoir accès à des photos grâce à des sites collaboratifs…

A peine rentrée, je me suis précipitée sur ces sites : j’y ai bien trouvé mention de mon grand-père paternel, parti à la guerre à 18 ans tout juste. Il est répertorié parmi les prisonniers du camp de Limburg-am-Lahn.

CICR photos camp prisonniers 2

J’ai failli ne pas le trouver : dans la table alphabétique, les Allemands avaient orthographié son nom à l’allemande, avec un K. Ma légendaire ténacité de tique m’a fait persévérer, jusqu’à ce que je tombe sur ces fiches :

 

C’est en les lisant attentivement que je me suis aperçue qu’il y avait des informations différentes par rapport à la fiche matricule : celle-ci indique le 78e régiment d’infanterie, alors que la Croix-Rouge mentionne le 278e. Il va falloir vérifier, reprendre le Journal des Marches et Opérations de chaque régiment, retrouver la cohérence de son histoire pour pouvoir m’attaquer à un récit plus précis de ses années dans les tranchées et les camps de prisonniers.

Une fois de plus, c’est en croisant les sources qu’on peut avancer, c’est en profitant des conseils et des pistes proposés qu’on enrichit nos connaissances et qu’on progresse. C’est bien, les salons. Même ratés.

 

Celle de Soixante-Dix

Occultée par des massacres plus récents et d’une tout autre ampleur (vive l’ampleur ! pardon, c’est idiot, mais je ne peux pas m’en empêcher), la guerre de 1870 est souvent l’oubliée de l’Histoire.

Les programmes scolaires n’en parlent plus, elle disparaît entre la monarchie constitutionnelle de la Restauration et la Révolution industrielle. On y fait allusion pour expliquer les causes de la guerre de 14-18, vaguement, en insistant sur l’envie de revanche plutôt que sur des analyses politiques, sociales ou économiques.

Curieuse de découvrir à qui appartenait une médaille retrouvée dans les affaires de famille (cf.  Cherche soldat de 70), je me suis demandée, à titre personnel, à quelles occasions j’avais pu être confrontée à cet épisode pourtant marquant de l’Histoire.

Tour d’horizon de quelques oeuvres qui évoquent la guerre de 1870.


 

Brassens, tout d’abord, l’a chantée : georges-brassens

Depuis que l’homme écrit l’Histoire,
Depuis qu’il bataille à coeur joie
Entre mille et une guerr’s notoires,
Si j’étais t’nu de faire un choix,
A l’encontre du vieil Homère,
Je déclarerais tout de suit’ :
« Moi, mon colon, cell’ que j’préfère,
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit ! »
Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis,
Que je m’ souci’ comm’ d’un’ cerise
De celle de soixante-dix ?
Au contrair’, je la révère
Et lui donne un satisfecit,
Mais, mon colon, cell’ que j’préfère,
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit !

 


 

La guerre de 1870, c’est aussi la fin de Frédéric Bazille.

304px-Frederic_Bazille_)_Etienne_Carjat Ce peintre d’origine montpelliéraine s’est engagé volontairement et a trouvé la mort au combat à Beaune-la-Rolande, le 28 novembre 1870. Le jeune homme a été enterré là-bas, puis son corps a été ramené par son père, il est aujourd’hui au cimetière protestant de Montpellier.

Il y a deux ans, une superbe exposition au Musée Fabre, puis au Musée d’Orsay, avait retracé la carrière du peintre et présenté quelques objets personnels. Dans une vitrine, un uniforme de zouave, une baïonnette, des lettres : tout ce que son père avait recueilli…

f-bazille-beaune-la-rolande-cp

220px-The_Ramparts_at_Aigues-Mortes_A29987Le jeune peintre a laissé une oeuvre plus importante qu’on ne le pensait. Ses toiles de jeunesse sont très intéressantes : elles marquent une évolution, d’un académisme un peu sévère à un impressionnisme lumineux. J’aime beaucoup ses paysages du Languedoc, ses pins, ses vues d’Aigues-Mortes à l’époque où la région était un marécage infesté de moustiques et de fièvres…

 


 

1870, c’est aussi ce passage terrible de l’agonie de Nana, la prostituée éponyme du roman de Zola.

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Edouard Manet, Nana, 1877.

Elle a enflammé le Second Empire, symbole de luxure dans cet univers conformiste et hypocrite. Sa mort coincide avec la levée des troupes pour la guerre.

 

La nuit grandissait, des becs de gaz dans le lointain s’allumaient un à un. Cependant, aux fenêtres, on distinguait des curieux, tandis que, sous les arbres, le flot humain s’enflait de minute en minute, dans une coulée énorme, de la Madeleine à la Bastille. Les voitures roulaient avec lenteur. Un ronflement se dégageait de cette masse compacte, muette encore, venue par un besoin de se mettre en tas et piétinant, s’échauffant d’une même fièvre. Mais un grand mouvement fit refluer la foule. Au milieu des bourrades, parmi les groupes qui s’écartaient, une bande d’hommes en casquette et en blouse blanche avait paru, jetant ce cri, sur une cadence de marteaux battant l’enclume :

— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !

Et la foule regardait, dans une morne défiance, déjà gagnée pourtant et remuée d’images héroïques, comme au passage d’une musique militaire.

— Oui, oui, allez vous faire casser la gueule ! murmura Mignon, pris d’un accès de philosophie.

Mais Fontan trouvait ça très beau. Il parlait de s’engager. Quand l’ennemi était aux frontières, tous les citoyens devaient se lever pour défendre la patrie ; et il prenait une pose de Bonaparte à Austerlitz.

 

Les hommes, bientôt, laissent la place aux courtisanes, venues dire adieu à leur amie. Et pendant que Nana meurt, elles commentent la guerre qui s’annonce, spéculant sur les profits qu’elles feront avec les Prussiens. La scène, morbide et cynique, s’achève sur les cris de la foule :

— À Berlin ! à Berlin ! à Berlin !



 

Un Prix de consolation dans le palmarès des guerres les plus atroces, la mort prématurée et inutile  d’un artiste doué et prometteur, et les cris des matamores qui croient au pouvoir des fusils : voilà ce qu’évoque pour moi la guerre de 70.

Pas bien glorieux…