C’est la faute de Sandrine.
C’est par elle qu’est venu le mal.
Cet été, elle et mon mari ont parlé d’Alsace, où elle habite, et la conversation est venue sur cette lointaine ancêtre alsacienne, du côté de sa mère à lui, dont on raconte qu’elle avait traversé la France pour s’établir en Bretagne.
Sandrine a commencé à chercher, a retrouvé quelques noms sur Filae. Une Schenmezler à Ploemeur, ça ne se rate pas !
Puis, pas plus. Il était occupé, travaux dans la maison, terrassement, plomberie et carrelage.
L’autre jour, il me demande, l’air innocent : « Tu n’as jamais cherché, de mon côté ? »
Non, je ne l’ai pas fait : parce que je n’en ai pas eu le temps et ne veux pas m’éparpiller dans toutes les branches, je n’ai pas exploré encore toutes les miennes, mais surtout parce que je suis persuadée que c’est un domaine qui pourra l’intéresser et qu’il y consacrera son temps libre avec plaisir d’ici quelques années.
Il a regardé sur Filae, a réussi à retrouver quelques traces de ses grands-parents. C’était lacunaire : pas de documents récents, des actes isolés les uns des autres qui ne permettent pas d’embrasser d’un regard la vie des individus, de nombreux homonymes…
Puis il m’a demandé si je n’aurais pas un logiciel, un système qui permettrait de classer les premières données. Je lui ai montré Heredis, il l’a installé sur son ordi. Il voulait juste voir se dessiner l’arborescence, comprendre qui était qui et situer les générations.
Un après-midi, je le vois sortir de son bureau, où il était censé faire la sieste, hirsute, l’œil rouge, le sourire niais du Ravi de la Crèche : « Tu sais quoi ? J’en ai trouvé plein ! Des ancêtres, j’en ai trouvé plein, viens voir ! ».
Deux jours après, il me dit : « Tu ne voudrais pas m’expliquer un peu, là, rapidement, les méthodes de bases de la recherche ? Par où il faut commencer pour compléter ce que je n’ai pas dans Filae ? et Herédis, y a moyen de rentrer toutes les infos et les photos des actes ? »
Hier soir, je le trouve devant ses deux écrans d’ordi : Heredis sur celui de droite, avec un arbre qui a pris une belle ampleur ; la visionneuse de l’état civil sur celui de gauche, et dans un coin un tableau Excel récapitulatif de tout ce qui a été trouvé par individu et de tout ce qui reste à chercher. Sur le bureau, le petit cahier avec la méthode, des actes de naissance et de mariage familiaux, de vieilles photos.
Il est tout fier d’être remonté au-delà de la Révolution, ravi d’avoir retrouvé des charpentiers de marine parmi ses ancêtres bretons, désolé de ces listes de nouveaux-nés que l’on trouve dans les Tables décennales à la page des naissances et tout de suite après à la page des décès, tout ému de tomber sur les signatures de ses aïeux…
Je crois qu’il est atteint, très gravement atteint.
Généalogite fulgurante.
C’est grave, docteur ?