Mes recherches sur la famille, du coté de ma mère, m’ont amenée à une très curieuse coïncidence.
L’un de mes ancêtres s’appelait Pantaléon.
Oui, Pantaléon.
Le prénom n’est pas usuel, il fait toujours beaucoup rire les enfants quand on leur commente l’arbre généalogique. Et pourtant, en cherchant à écrire un article sur lui, je me suis rendue compte que Pantaléon était un prénom qui revenait régulièrement dans la famille.
Diable, une floppée de Pantaléon inattendus ! Au moins 12 ! Ca méritait de se pencher sur cette contagion incongrue…
J’ai trouvé les données les plus évidentes : l’origine du prénom, porté par un Saint grec du IVe siècle, martyr pour la foi, condamné aux bêtes et décapité. Bon, pas plus.
Ce qui m’a plus intéressée, c’est de voir que le prénom était porté par des ancêtres nobles, dont les filles ont épousé des roturiers, ce que nous sommes aujourd’hui.
Aussitôt, je me suis souvenue des cours d’anthroponymie du DU : les nobles choisissent souvent de perpétuer la mémoire d’un ancêtre illustre en donnant aux nouveaux-nés des prénoms associés aux exploits et à la gloire familiale.
Qui pouvait donc être ce Pantaléon héroïque qui avait laissé un tel souvenir ?
Rien de particulier dans les XVII et XVIIIè siècles, d’honnêtes seigneurs et sénéchaux d’Auvergne, mais rien de croustillant.
Et puis je suis arrivée, en remontant en ligne directe à la 14e génération, à mon Sosa 12642 : un Pantaléon Robert de Lignerac, né approximativement en 1535. La famille est présente dans tous les armoriaux d’Auvergne. Lui est l’époux de Louise d’Anjony, il est seigneur de Cambon et de Lespinasse et sénéchal des montagnes d’Auvergne. C’est un des chefs ligueurs de Haute-Auvergne. Il a, dit-on, fait preuve d’un dévouement sans faille à la reine Margot, l’escortant en 1586, malgré les périls de la guerre civile, depuis Carlat jusqu’à Ybois, son nouveau lieu de séjour en Basse-Auvergne.
La reine Margot ?
Ma reine Margot ?
Marguerite de Valois, avec qui je vis depuis des mois ?
Oui, parce que j’ai eu une idée idiote, encore, cette année : faire découvrir Dumas et les beautés du roman de cape et d’épée à mes élèves de Première. Ils ont littéralement défailli en voyant l’épaisseur de La Reine Margot, et, mis à part une jeune fille enthousiaste aux élans romanesques qui frissonne aux amours de Margot et de Jacques de La Mole, ils me lancent à chaque cours des regards noirs en hochant péniblement leur tête accablée sur leurs épaules voûtées… Manifestement, la séquence n’enchante que moi.
Bref, pour préparer mes cours, j’ai lu tout ce que je pouvais trouver sur cette chère Marguerite : ses Mémoires, les poèmes de son temps, les Mémoires de Brantôme et la Vie des Dames illustres, le Divorce Satyrique, les historiens, et même l’Histoire de France par San-Antonio !
Et voilà que mon ancêtre a partagé quelques mois de la vie de la reine, en guerre avec son mari, passant de château en château pour rejoindre ses terres, jusqu’à Ussel.
Et s’il avait été l’amant de la reine ? s’il avait profité d’un intermède entre deux chevauchées, après qu’ils eurent été emportés au galop, corps contre corps, par un même cheval, de Carlat à Ybois ? Rhhhoooohhh…
Je me voyais déjà, façon Mathilde de La Mole dans Le Rouge et le Noir, vénérer tous les ans l’anniversaire de l’illustre passion, en m’extasiant sur les extraordinaires découvertes auxquelles mène la généalogie.
Mais, car il y a un mais, l’honnêteté m’oblige à dire que les romanciers et historiens ne s’accordent pas sur le rôle de Pantaléon Robert de Lignerac auprès de la reine. Pas bon, ça.
Qui était-il ? un fidèle soutien de la reine ? un profiteur cupide qui a dépouillé Marguerite de ses bijoux pendant qu’elle était en fuite ? un amant jaloux au point de tuer d’un coup d’épée un jeune apothicaire qui se trouvait dans la chambre royale ? un violeur, même, de la reine ? Les feuilletons le noircissent à l’envi, les historiens du XIXe siècle en font un être mesquin, le Divorce Satyrique avait de toute façon laissé entendre toutes les horreurs possibles sur le comportement débauché de Marguerite et les excès éhontés de ses amants.
Pour toute information fiable, on se reportera à la magistrale biographie d’Eliane Viennot, Marguerite de Valois, Payot 1995, réed 1999 et 2005. Le personnage, dit l’historienne, n’a rien d’exceptionnel : il n’a sans doute pas été l’amant de Margot, était excédé des dépenses fastueuses de la reine qu’il lui tardait de voir repartir, ne s’est pas illustré autrement que par un soutien solide de serviteur dévoué. Pas de romance, pas de folle passion, pas de Pantaléon héroïque.
Reste son prénom dans l’histoire familiale.
Pantaléon.
Pfff…